Droits

Primauté parentale : une panique justifiée ?

J’imagine que, tout comme moi, vous avez été témoin de la vague de panique qui a saisi la population dans les dernières semaines. Plusieurs criaient haut et fort sur les différentes plateformes des réseaux sociaux que le grand méchant loup, Legault, s’approcherait de manière imminente de la bergerie pour nous voler nos enfants, nos droits et nos obligations envers ceux-ci et pour se les partager avec sa meute, l’État et le directeur de la protection de la jeunesse (ci-après nommé « DPJ »). Si vous n’avez aucune idée de ce à quoi je fais allusion, je vous le souffle doucement pour ne pas raviver le feu qui semble s’être calmé : la primauté parentale. Voici un principe que plusieurs ignoraient jusqu’à dernièrement. Néanmoins, il n’en demeure pas moins  important. Il est donc crucial de s’assurer de bien saisir l’enjeu en question avant de se positionner sur un sujet aussi sensible. Je vous propose donc des définitions, illustrées par un cas réel, permettant de distinguer la primauté parentale et l’autorité parentale. A priori, il incombe de commencer par la tragédie à la source de l’émoi.

Le drame de la petite fille de Granby

Au mois d’avril 2019, le Québec a été ébranlé par le drame de la petite fille de Granby. Le lundi 29 avril 2019, une petite fille qui était suivie par le DPJ a été retrouvée ligotée et en arrêt cardiorespiratoire suite à l’appel au secours de son père. Cette petite fille de 7 ans vivait avec ce dernier et sa conjointe. Elle était élevée par son père et sa belle-mère, des parents « inadéquats [et] violents »[1] qui la négligeaient au plan éducatif et abusaient d’elle physiquement et psychologiquement[2]. Ses parents se sont vus accorder sa garde en septembre 2015 malgré le fait qu’elle ait vécu les 3 premières années de sa vie chez sa grand-mère devenue son parent référent. Malheureusement, le maintien de cette petite fille dans son foyer biologique l’a fait passer de vie à trépas.

Voici le tison qui a embrasé la forêt. Ici, je parle bien de l’enquête confiée à la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (ci-après nommée « CSEDJP ») et non du sensationnalisme lié à la primauté parentale qui a vu le jour sans se voir encadrer par son contexte. Cette tragédie a mis en lumière des lacunes manifestes du service de protection de la jeunesse, mais également de « la loi qui l’encadre, [du] rôle des tribunaux, des services sociaux et des autres acteurs concernés »[3]. Ainsi, c’est depuis le 30 mai 2019 que nous attendons un rapport final donnant des pistes pour remédier aux problèmes criants du DPJ, rapport qui avaient comme échéancier le 30 avril 2021.

Directeur de la protection de la jeunesse

Pour ceux qui ne le savent toujours pas, le DPJ est un organisme québécois qui intervient lorsque des enfants de moins de 18 ans « vivent des situations qui compromettent ou peuvent compromettre leur sécurité ou développement considérés comme étant en difficulté et ayant besoin de protection »[4]. Pour se faire, le DPJ va appliquer la Loi sur la protection de la jeunesse[5] qui édicte notamment son rôle, ses responsabilités et les cas nécessitant intervention.

Il a un rôle réparateur et préventif en ce qu’il cherche à mettre fin à la situation compromettant la sécurité et/ou le développement de l’enfant ainsi qu’à éviter que la situation se reproduise[6]. Ainsi, lorsqu’il reçoit un « signalement » pour ce qui est communément appelé un motif de compromission tel que l’abandon, la négligence, le mauvais traitement physique ou psychologique, l’abus sexuel ou physique ou autre[7], il décide s’il retient ce signalement ou non pour évaluation : cette évaluation demeure circonstancielle. Les enjeux de sécurité et développement variant d’une situation à une autre, voici quelques critères pris en considération lors de l’analyse : la gravité de la situation, l’âge de l’enfant ou bien la capacité et le désir des parents de le protéger[8]. Dans la mesure où le signalement ne serait pas retenu, le DPJ demeure responsable de conseiller et de diriger les parents qui en ont besoin vers des ressources adéquates. De même, il a « l’obligation d’aider les parents afin que leur enfant puisse continuer à vivre avec eux ou revienne dans le milieu familial, s’il en a été retiré. Dans certaines situations, le retour de l’enfant dans son milieu familial est impossible. Le DPJ a alors la responsabilité d’offrir à l’enfant un autre milieu de vie qui lui assurera la stabilité nécessaire pour se développer. »

À la lecture de cet extrait, nous ne pouvons éviter de le juxtaposer à la situation de la fille de Granby qui vivait avec son père, retournant dans son milieu familial après en avoir été retirée. Dans son cas, ce retour était possible mais s’est aussi avéré fatal. La petite fille a malheureusement été exemptée de cette stabilité prônée et vénérée par le DPJ. Dans son cas, la primauté parentale et le maintien dans le foyer biologique a eu préséance sur le lien d’attachement formé avec sa grand-mère dans ce milieu d’accueil, et sa vie en a été le prix. C’est dans ce cadre précis que se discute l’importance de la primauté parentale.

Autorité parentale vs primauté parentale

C’est l’entrevue avec Mme Régine Laurent, (responsable de la la CSEDJP) et M. Carmant (ministre délégué à la Santé et des Services sociaux), qui a provoqué la paranoïa qui s’est jouée sous nos yeux. Ces derniers échangeaient sur la série documentaire « 24/60 Grand angle DPJ » et sur le rapport qui devait être déposé prochainement. Dans cette dernière, le Ministre mentionne qu’à l’automne 2021, le gouvernement se penchera sur la modification de la Loi sur la protection de la jeunesse et qu’il pourra « revoir le principe de la primauté parentale »[9].

Ce sont ces paroles qui ont enclenché la frénésie s’articulant autour du sujet de l’heure des internautes zélés. Plusieurs ont confondu primauté parentale, qui se veut propre aux situations auxquelles s’affaire le DPJ, et autorité parentale, qui est attribuée automatiquement aux parents, titulaires de l’autorité parentale[10].

D’une part, l’autorité parentale a pour attributs les droits et obligations qu’un parent a envers son enfant, et ce, jusqu’à ce qu’il atteigne la majorité. Ces droits et obligations consistent en ceux « nécessaires pour assumer le soin et l’entretien de l’enfant à un âge où il ne peut le faire lui-même. Le titulaire doit aussi mener à bien son éducation et le rendre autonome et capable de subvenir à ses besoins […] [il est] l’intervenant de première ligne désigné par l’État pour assurer le développement de l’enfant »[11]. Ainsi, être parent vient avec son lot de responsabilité se rapportant à « la garde, à la surveillance, à l’éducation et à l’entretien de l’enfant »[12].

L’autorité parentale est un fardeau que portent tous les parents Québécois. C’est un droit fondamental qui serait inconcevable à abolir. D’autant plus que son abolition transfèrerait ce fardeau sur les frêles épaules de l’État et du DPJ qui peinent d’ores et déjà à veiller sur les familles et les enfants vulnérables du Québec : leur ajouter le lot des familles qui fonctionnent malgré leurs dysfonctions serait de les achever. Alors, quel serait l’avantage pour le gouvernement d’abolir cela ?

D’autre part, la primauté parentale est ce que nous avons pu observer dans le drame de la petite fille de Granby. Le maintien du lien de sang, soit du lien biologique, a prévalu au détriment du lien d’attachement que la petite avait avec sa grand-mère. Je reprends ce que disait Mme Laurent, « la défense de l’idéologie sur la primauté du maintien du lien familial n’est pas adaptée au système de la DPJ »[13]. D’autant plus que la Loi sur la protection de la jeunesse n’a pas beaucoup évolué depuis son adoption il y a près de 40 ans. Les situations familiales du Québec ont changé et de ne pas prendre cela en considération est de dénaturer le DPJ et son objectif. Force est d’admettre qu’à la lumière d’une tragédie aussi horrible, une révision de cette notion pourrait prévenir que de pareilles situations se reproduisent et ce, en gardant en tête l’intérêt de l’enfant et le respect de ses droits. Néanmoins, il ne faut pas enfermer le loup dans la bergerie de peur qu’il y demeure et ne ravive les brebis impunément. Pour ces raisons, gardons un œil averti sur ce projet de loi.

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