La Francophonie canadienne : une progression stagnante

Dans 2 jours, soit le 20 mars 2021, nous célébrerons la Journée internationale de la Francophonie. Cette initiative de l’Organisation internationale de la Francophonie, organisme regroupant 80 pays sur les 5 continents, a pour but de promouvoir la langue française, car « célébrer la Francophonie, c’est reconnaître le potentiel de la langue et de la culture à unir les peuples, à créer des espaces de solidarité et de compréhension mutuelle, pour réfléchir ensemble à notre avenir commun »[1]. Le français, ce symbole culturel pour tant de Québécois, est la 5ème langue mondiale et la 2ème apprise après l’anglais, et pourtant, nous nous battons continuellement pour sa préservation[2]. Force est d’admettre qu’il est possible que ces efforts déployés continuellement soient en fait la raison pour laquelle le français demeure si haut placé dans les rangs mondiaux. Il peut paraître évident que nous soulignions la Journée internationale de la Francophonie au Québec considérant la concentration de francophones présents dans la province. Cependant, 7,4 millions de personnes vivant au Canada ont le français comme langue maternelle et vivent l’enjeux sous-jacents des initiatives de ce genre : la menace du français.

« Et l’absence de ce qu’on aime, quelque peu qu’elle dure, a toujours trop duré »[3]. En 1668, Molière traduit le sentiment que plusieurs Français-Canadiens éprouvaient avant que l’Acte de Québec de 1774 ne reconnaisse une légitimité à la langue française et avant que la Loi sur les langues officielles la déclare officielle au Canada en 1969. Par ces mots, il dit tout haut ce que plusieurs Québécois craignent aujourd’hui de vivre si un effort conscient de sauvegarde de la langue n’est pas maintenu[4]. Il est vrai que le statut du français au pays est cause de réjouissance. Cependant, il est important de se rappeler que ce n’est que 102 ans après la création du Dominion du Canada en 1867[5], 102 ans de tango entre le français et l’anglais, qu’une reconnaissance juridique lui est formellement accordée. Pouvons-nous voir dans ce délai une prophétie auto-réalisatrice ou même une révélation garante du futur du français? Je vous laisse tirer vos propres conclusions. Enfin, loin de moi l’idée de vous faire reprendre votre cours d’histoire du Québec ou la présomption de vous raconter l’histoire de la langue française au Québec, mais il était inévitable de s’y référer pour bien contextualiser l’enjeu entourant la question du français au Canada.

Certaines lois canadiennes prônant le français

« Le français fait partie de la richesse identitaire et culturelle du pays depuis sa création »[6] et cela se traduit dans sa position au sein des trois lois décrites ci-dessous.

Nous avons premièrement, la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après nommée « Charte canadienne »)[7], loi suprême du Canada adoptée en 1982, qui garantit le bilinguisme du gouvernement du canada, le droit de communiquer en français ou en anglais avec le gouvernement, le droit de recevoir ses services en français ou en anglais et le droit de recevoir l’enseignement dans la langue de la minorité de la province[8].

Deuxièmement, nous avons la Loi sur les langues officielles [9]. Modifiée et modernisée depuis sa première version en 1969, cette loi a deux objectifs qu’il me semble pertinent de soulever. Le premier est d’assurer « le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l’administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en œuvre des objectifs de ces institutions ». Le deuxième est d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d’une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais »[10].

Si on avait à placer ces textes de lois dans une pyramide hiérarchique, il est clair qu’à défaut d’occuper la pointe, ils seraient indubitablement près de celle-ci. Pourtant, la Journée internationale de la Francophonie, les textes de lois et les programmes subventionnés par le gouvernement canadien n’empêchent pas la menace qui sévit le français. Cette contradiction entre les mesures adoptées et la réalité est d’autant plus criante lorsque l’on observe les enjeux nationaux.

Enjeu Pancanadien

Comme mentionné plus haut, près de 10 millions de francophones sont répartis un peu partout dans un pays d’une population d’environ 37,59 millions de personnes. Il n’est donc pas étonnant de voir que le défi auquel font face les Québécois quant à la protection de la langue française s’applique aux francophones d’un océan à l’autre. Prenons par exemple nos voisins d’Ouest et d’Est. Pas plus tard que le 11 septembre 2020 en Ontario, province qui abrite le plus de francophones après le Québec[11], l’AFO (Assemblée de la francophonie de l’Ontario) et l’AJEFO (Association des juristes d’expression française de l’Ontario) réclamaient des services en français partout en Ontario et non uniquement dans les institutions de la législature et du gouvernement de l’Ontario, comme le prévoit la Loi sur les services en français[12]. Ce problème d’accès à des services dans la langue de la minorité s’est vu révélé dernièrement dans l’actualité. En effet, un médecin franco-ontarien s’est vu privé d’avoir son audience disciplinaire devant l’Ordre des médecins de l’Ontario en français étant donné le nombre limité d’arbitres bilingues. Les tribunaux administratifs des ordres professionnels n’étant pas soumis à la Loi sur les services en français[13], les instances disciplinaires n’ont pas l’obligation d’offrir des audiences en français à leurs membres[14]. Pourtant, le Code criminel[15] garantit un procès dans la langue officielle choisie par le prévenu[16]. Ne serait-il pas juste d’affirmer qu’à plus forte raison, ces ordres disciplinaires devraient prévoir ce choix en toutes circonstances…?

Du côté du Nouveau-Brunswick, cette province qui se trouve en troisième place sur le podium démographique des francophones, cette province dite bilingue grâce à son adoption de la Loi sur les langues officielles[17] garantissant, entre autres, l’égalité entre le français et l’anglais, la population francophone s’insurge contre son premier ministre qui peine à comprendre une question qui lui est posée en français lors d’un point de presse abordant la pandémie[18]. Cette incapacité pour le plus haut représentant de la province de communiquer dans la langue de la minorité francophone met en lumière la précarité du français et justifie le besoin d’avoir une journée internationale de la Francophonie.

À la lumière de ce qui précède, quelles sont les mesures déployées par notre gouvernement canadien face à cela ? Il va de soi que ces faits ne sont pas rassurants, mais peut-être pouvons-nous être réconfortés par la volonté du gouvernement de moderniser la Loi sur les langues officielles[19].

Modernisation de la Loi sur les langues officielles

Pourquoi moderniser cette loi ? Voici une des raisons données par notre gouvernement :

« Deux millions de Canadiennes et Canadiens vivent dans des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Même si ces populations sont dynamiques et continuent de croître, certaines tendances sont préoccupantes, dont la diminution du pourcentage de francophones à l’extérieur du Québec, et la lente croissance du taux de bilinguisme chez les Canadiennes et Canadiens d’expression anglaise à l’extérieur du Québec »[20].

Attendu depuis la promesse électorale faite en 2019, le gouvernement fédéral a, le 19 février 2021, enfin dévoilé son plan pour mieux protéger le français dans un rapport intitulé « Français et Anglais : vers une égalité réelle dans les langues officielles[21]. Nous pouvons y lire les constats inquiétants quant au recul de l’utilisation du français au Canada depuis les 50 dernières années et les différentes initiatives ainsi que les différentes mesures administratives et réglementaires proposées pour rétablir la situation. Voici une liste non-exhaustive des solutions avancées : la nomination de juges bilingues dans le plus haut tribunal du pays, la Cour suprême, la présence du français dans les entreprises privées sous juridiction fédérale, comme les banques, et une croissance au niveau de l’immigration francophone.

Ces mesures sont louables d’autant plus qu’à cheval donné, il ne faut pas regarder à la bride, néanmoins si le français est réellement une valeur fondamentale, un flambeau culturel, une richesse identitaire, il ne suffit pas de l’inscrire dans nos lois et nos discours. Il incombe de l’intégrer dans le quotidien de tous les Canadiens et Canadiennes pour que la Journée internationale de la Francophonie soit célébrée d’un océan à l’autre. Je dépose donc un instant mon verre de cynisme pour donner une chance au coureur et voir ce que le futur précaire du français nous réserve.

À voir également

Sign up for free
Thank you! Your submission has been received!
Oops! Something went wrong while submitting the form.
Sign up right away

Sign up now and get the best insurance on the market

“Using this template has saved my marriage! I am more than thrilled!”

Gianna Johnson
Director @Company